Louis XV
Louis XV - Charles André van Loo - 1705-1765
La régence du Duc d'Orléans
Le régent, Philippe d'Orléans, par Jean-Baptiste Santerre en 1717.
Par son testament Louis XIV avait remis la
régence du royaume, durant la minorité de son arrière-petit-fils,
au duc d'Orléans, qu'à défaut de lois positives la coutume appelait
à ces hautes fonctions. Mais le vieux roi avait entouré l'autorité
qu'il laissait à son neveu de précautions si multipliées, d'un contrôle
si actif, si continuel ; il avait accordé au duc du Maine une part
si considérable dans le gouvernement, il lui avait confié avec une
sollicitude si défiante la personne du jeune roi, qu'il semblait
qu'il eût voulu garantir son successeur contre les ambitieuses tentatives
de son tuteur naturel. C'était véritablement le duc du Maine, le
fils légitimé de Louis XIV et de madame de Montespan, qui allait
régner ; il avait la tutelle, la garde, l'éducation de Louis XV,
ainsi que le commandement absolu de sa maison militaire.
Il faisait
partie, avec le comte de Toulouse, son frère, du conseil de régence
composé de tous les ennemis du duc d'Orléans, à qui il ne restait
qu'une présidence nominale, un vain titre sans pouvoir réel. Le
duc d'Orléans ne pouvait accepter ces outrageantes dispositions
surprises à la faiblesse du roi mourant, par les intrigues de madame
de Maintenon et du duc du Maine.
Louis XIV lui-même, selon Saint
Simon, avait en quelque sorte désavoué ses suprêmes volontés quand,
dans l'épanchement de ses dernières heures, il disait à la reine
d'Angleterre que ce testament lui avait été extorqué, qu'il avait
fait ce qu'il ne voulait pas faire et ce qu'il ne croyait pas devoir
faire. Le régent, qui eût préféré renoncer à cette apparence du
pouvoir plutôt que de se soumettre à l'humiliante situation que
lui faisait la volonté soupçonneuse du roi, en appela au parlement
de la validité du testament de Louis XIV.
Le duc d'Orléans avait
pour lui la noblesse qui s'indignait d'obéir au duc du Maine, dont
la légitimation ne couvrait pas, à ses yeux, l'origine coupable
; le parlement si durement contenu pendant soixante années, et qui
entrevoyait l'occasion de ressaisir son ancienne influence ; enfin
ses droits de prince du sang, la popularité que lui valait son courage,
les dehors brillants qui faisaient trop oublier ses vices. Aussitôt
que Louis XIV fut expiré, le duc d'Orléans. s'environnant de ses
amis, convoqua le parlement, la première autorité de l'État depuis
qu'on avait cessé de réunir les États Généraux, afin de soumettre
à son enregistrement les dernières dispositions du roi défunt.
Cette assemblée solennelle, à laquelle assistaient tous les
grands noms de la France, se réunit dès le lendemain de la mort
du roi. La magistrature, les pairs du royaume, les princes du sang
siégeaient pour prendre la résolution qui devait décider du gouvernement
de l'État ; le régiment des gardes commandé par le duc de Guiche,
le régiment suisse entouraient la salle des séances.
Le duc
du Maine arriva le premier, plein d'espérances, se croyant déjà
maître du pouvoir :
« l'air riant, satisfait, dit Saint
Simon, partisan zélé du duc d'Orléans et l'un des plus actifs personnages
de cette curieuse scène, surnageait à celui d'audace, de confiance,
qui perçait néanmoins, et à la politesse qui semblait le combattre
; il saluait à droite et à gauche, et perçait chacun de ses regards.
»
Bientôt après entra le duc d'Orléans, calme, réservé,
ferme et digne plus qu'il n'en avait l'habitude. Enfin le testament
de Louis XIV, ouvert par le premier président, fut remis à un conseiller,
qui en fit à haute voix la lecture. A chaque disposition de cet
acte étrange, bien que M. de Mesmes, dévoué aux intérêts du duc
du Maine, s'écriât constamment : Écoutez, messieurs, observez, c'est
là notre loi ! la surprise et une sorte d'indignation agitaient
la plupart des assistants ; le codicille qui remettait la garde
du roi au duc du Maine excita un murmure d'improbation dont celui-ci
se sentit troublé, il pâlit et commença à douter de sa cause.
Alors le duc d'Orléans, se levant, réclama, en un discours bref,
précis, contre les dernières volontés de Louis XIV, attribuant hautement
aux suggestions qui avaient entouré sa mort les mesures qu'il avait
prises ; enfin il demanda l'entier exercice des pouvoirs de la régence,
promettant au parlement que l'autorité despotique de Louis XIV n'avait
pas accoutumé à tant de condescendance, de s'appuyer sur lui et
de s'éclairer de ses avis :
« A quelque titre, dit il,
que j'aie droit à la régence, j'ose vous assurer, messieurs, que
je la mériterai par mon zèle pour le service du roi et par mon amour
pour le bien public, surtout étant aidé par vos conseils et par
vos sages remontrances. »
Le duc du Maine essaya de répondre,
mais il fut à peine écouté ; et le parlement, sur les conclusion
du procureur général Joly de Fleury, déclara que le choix du conseil
de régence serait attribué au duc d'Orléans avec voix prépondérante.
Après cette première victoire, qui présageait au surplus l'issue
de la lutte, la séance fut suspendue pendant quelques heures, et
reprise seulement à quatre heures du soir pour décider si le codicille
ajouté au testament serait maintenu ; il donnait encore de singuliers
privilèges au duc du Maine, qui y fondait ses dernières espérances.
Dans le court intervalle qui sépara les résolutions de l'assemblée,
les deux adversaires avaient réuni leurs amis, excité leur zèle,
et ils rentrèrent pour se livrer un nouveau combat ; combat d'ambition
et de puissance, où se débattait la pensée de ce prince, si absolu
dans ses ordres, de son vivant si humblement obéi, dont on se vengeait
en déchirant, dès le lendemain de sa mort, le dernier acte de sa
volonté.
Le codicille de Louis XIV fut annulé comme son testament.
Le duc du Maine essaya encore une fois de défendre la part d'autorité
qui lui échappait ; mais, l'audace lui manquait, sa voix était sans
force, et sa pusillanimité n'osait revendiquer ce qu'il avait obtenu
au prix de tant d'intrigues. Tandis qu'il parlait, les magistrats
et, les pairs, tous d'une voix et comme en tumulte, prononçaient
l'entière abrogation du codicille.
A cette défaite la fierté
du fils de Louis XIV se réveilla, il demanda, si on lui ôtait l'autorité
que lui avait conférée le roi mourant, qu'on le déchargeât aussi
de la garde du roi et de la responsabilité de sa personne.
« Très volontiers, monsieur, lui répondit le duc d'Orléans,
il n'en faut pas davantage. »
Et de ce pouvoir plus étendu
que celui de la régence, qu'il devait à l'aveugle tendresse de son
père, il ne resta au duc du Maine que la surintendance de l'éducation
de Louis XV. L'arrêt du parlement qui venait d'abroger le testament
de Louis XIV fut accueilli par les acclamations de la foule répandue
aux entrées de la salle des séances, et celle qui remplissait le
palais et les rues environnantes y répondit avec empressement. La
régence du duc d'Orléans commençait avec l'appui de la popularité
qu'excitait en sa faveur la haine du règne qui venait de finir.
« Ce règne de soixante douze ans, dit M. Théophile
Lavallée dans une remarquable appréciation des premiers jours de
la régence, qui avait changé l'ordre social sans fonder d'institutions
nouvelles, qui avait annulé la noblesse, la magistrature, le clergé,
pour élever la bourgeoisie ; qui avait eu en permanence des armées
de deux cent mille hommes, sans finances régulières, sans crédit
; ce règne qui avait éveillé partout l'esprit, les lumières, la
civilisation, en laissant le gouvernement au-dessous de la nation,
et qui finissait par des revers et des persécutions ; un tel règne
devait être suivi d'une époque de réaction : ce fut en effet le
caractère de la régence. Le grand roi était à peine mort que tout
ce qui avait fait opposition contre lui se tourna avec espoir vers
le duc d'Orléans. »
Le 12 septembre, Louis XV, âgé seulement
de cinq ans, vint en personne, accompagné du duc de Villeroi, son
gouverneur, au parlement tenir un lit de justice dans lequel fut
solennellement enregistrée et publiée la déclaration rendue en faveur
du duc d'Orléans. Alors commença la régence, ce règne de huit années
durant lequel fut si complètement méconnue toute la politique de
Louis le Grand.
L'orgueil de la noblesse se ranima, elle se
partagea les fonctions et le trésor de l'État ; les parlements reprirent
leur influence et renouvelèrent cette opiniâtre opposition qui devait
être une des causes de la révolution ; tout ce qu'avait comprimé,
réduit au silence, la puissante main de Louis XIV, lutta de nouveau
contre la royauté ; et avec cette administration saluée par tant
d'applaudissements, à laquelle les qualités brillantes, l'esprit
pénétrant du régent promettaient de si heureux Jours, commença la
décadence de la royauté absolue, qui, sous le monarque précédent,
après tant de siècles d'efforts, avait atteint le terme le plus
élevé de sa puissance et de sa force.
Tout déchut entre les
mains du duc d'Orléans ; sa faiblesse, ses mœurs déréglées, ses
excès, son aveugle confiance en d'indignes ministres avilirent au
dedans la dignité du pouvoir, détournèrent au dehors la France des
voies de la politique nationale, et préparèrent, par de funestes
exemples, l'immoralité hardie, l'opposition railleuse et sceptique
du règne de Louis XV.
Louis XIV en mourant dit à son arrière-petit-fils,
qui allait devenir Louis XV « Vous allez être roi d'un grand royaume.
Tâchez de conserver la paix avec vos voisins. J'ai trop aimé la guerre
; ne m'imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dépenses
que j'ai faites. Soulagez vos peuples le plus tôt que vous le pourrez
et faites ce que j'ai eu le malheur de ne pouvoir faire par moi-même.
» L'enfant de cinq ans ne comprit pas ces paroles; quand plus tard
la raison lui vint, il les avait oubliées. La dette était de deux milliards,
qui en feraient huit aujourd'hui. Vauban écrivait « Près de la dixième
partie du peuple est réduite n mendier des neuf autres parties, cinq
ne peuvent faire l'aumône à celle-là, dont elles ne différent guère;
trois sont fort mal aisées; la dixième ne compte pas plus de cent mille
familles, dont il n'y a pas dix mille fort à leur aise. » Dès 1710,
Fénelon jugeait ainsi la monarchie française « C'est une vieille
machine délabrée qui va encore de l'ancien branle qu'on lui a donné
et qui achèvera de se briser au premier choc. »
Marie Leczinska, Reine de France - Charles André van Loo - 1705-1765
Enfin, la France était lasse de pouvoir absolu.
Voltaire nous fait cette peinture des funérailles du grand roi «
J'ai vu de petites tentes dressées sur le chemin de Saint-Denis. On
y buvait, on y chantait, on y riait. Le jésuite Le Tellier était la
principale cause de cette joie universelle. J'entendis plusieurs spectateurs
dire qu'il fallait mettre le feu aux maisons des jésuites avec les flambeaux
qui éclairaient la pompe funèbre. »Voilà le fardeau qui retombait
sur un roi de cinq ans, et tout d'abord sur le régent, Philippe d'Orléans.
Celui-ci avait beaucoup des qualités de Henri IV, mais bien plus de
vices. Son précepteur, qui devint son premier ministre, avait été Dubois.
« Dubois, dit Saint-Simon, estoit un petit homme maigre, effilé,
à mine de fouine. Tous les vices, la perfidie, l'avarice, la débauche,
l'ambition, la basse flatterie, combattoient en lui à qui demeureroit
le maître. Il mentoit jusqu'à nier effrontément estant pris sur le fait.
Il s'estoit accoutumé à un bégayement factice pour se donner le temps
de pénétrer les autres. Une fumée de fausseté lui sortoit par tous les
pores. » Cet habile coquin faisait ce qu'il voulait du régent un
matin, il vint le trouver « Monseigneur, j'ai rêvé cette nuit que
vous m'aviez fait archevêque de Cambrai.- Toi, archevêque! drôle! toi,
coquin, toi, maraud, archevêque ! » La bourrasque passée, le régent
ne put s'empêcher de rire de tant d'impudence, et la demande fut octroyée.
Massillon et un autre évêque rendirent témoignage des bonnes mœurs
du postulant (et c'était lui qui organisait les folies du Palais-Royal
!) ; il reçut tous les ordres en un seul jour, et alla s'asseoir sur
le siège épiscopal de Fénelon !
Ce gouvernement livra les finances
à l'Écossais Law, dont le fameux système eût pu faire beaucoup de bien
et fit beaucoup de mal. D'un autre côté, il jeta la France dans l'alliance
anglaise quand même, et fit fa guerre à l'Espagne, au petit-fils de
Louis XIV. C'était bien la peine d'avoir fait la guerre de succession.
Le gouvernement du duc de Bourbon, qui vint ensuite, resta dans les
mêmes errements. L'Angleterre y gagna beaucoup; mais la France n'en
retira que de la honte. Louis XV avait alors pour précepteur un vieil
évêque, bonhomme septuagénaire, tranquille, modeste on l'eût jugé sage
entre les sages c'était un ambitieux; il arriva au pouvoir comme une
taupe, par-dessous.
Nous parlons du cardinal de Fleury. Il gouverna
économiquement la France pendant dix-sept ans. Mais il laissa tomber
la marine et n'eut en Europe qu'une attitude pitoyable. Il laissa ravir
la succession du trône de Pologne à Stanislas Leczinski, le père de
la reine de France.
Notre ambassadeur à Copenhague, le comte de
Plélo, ne put être témoin de cette honte et alla se faire tuer à Dantzig.
Fleury voulait la paix à tout prix, et son ministère finit au milieu
de la guerre. C'était celle de la succession d'Autriche. Cette guerre
fut mesquinement commencée du côté de la France ; il n'y eut de grand
que l'héroïsme de nos soldats, dignes pères des soldats de la République
.
Au siège de Prague, avant de donner l'assaut, Chevert leur dit
« Mes amis, vous êtes tous braves, mais il me faut ici un brave à
trois poils. Le voilà, ajouta-t-il en se tournant vers le sergent Pascal.
Tu vas monter le premier. Oui, mon colonel. La sentinelle criera : Qui
va là?» Ne réponds rien. - Oui, mon colonel. Elle tirera sur toi et
te manquera. Oui, mon colonel. Tu la tueras. Oui, mon colonel. Et je
suis là pour te soutenir. » Ce dialogue fut exécuté de point en
point, et Prague fut prise.
La plus grande bataille de cette guerre
fut celle de Fontenoy. Tout le monde sait avec quelle courtoisie elle
fut engagée. Arrivés à cinquante pas des Français, les officiers anglais
saluent. Les officiers des gardes françaises saluent à leur tour. Milord
Hay crie « Messieurs des gardes françaises, tirez. » Le comte
d'Hauteroche répond « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers,
tirez vous-mêmes. » Les Anglais tirent et le feu commence. Louis
XV assistait à cette bataille, que Maurice de Saxe gagna. Les victoires
de Raucoux et de Lawfeld ajoutées à celles-là et les succès de Dupleix
dans l'Inde amenèrent la paix d'Aix- la-Chapelle signé le 18 octobre
1748. La France ne gagna rien, malgré tous ses succès. « Je ne fais
pas la guerre en marchand, mais en roi, » disait Louis XV.
La
guerre de Sept ans fut plus désastreuse. Ce n'est pas qu'il n'y ait
eu encore des actions à notre avantage, comme celles d'Hastembeck, de
Closterseven, de Lutterbourg, de Bergen, de Clostercamp, où d'Assas
sauva l'armée en sacrifiant sa vie. Mais le désastre de Rosbach eut
un retentissement funeste. Soubise, aussi malheureux que Villeroi, y
fut complètement défait par Frédéric. Comme il avait la vue basse, le
public parisien chanta malignement :
Soubise dit, la lanterne
à la main
« J'ai beau chercher où diable est mon armée,
Elle
était là pourtant hier matin !
Me l'a-t-on prise ou l'aurai-je égarée
?
etc.»
Madame de Pompadour, amie du général, chercha
à l'excuser aux yeux du roi, ce qui donna lieu à la diatribe suivante
En vain vous vous flattez, obligeante marquise,
De mettre
en beaux draps blancs le général Soubise;
Vous ne pouvez laver, force
de crédit,
la tâche qu'à son front imprime sa disgrâce,
Et, quoi
que votre faveur fasse,
En tout temps on dira ce qu'à présent l'on
dit
« Que si Pompadour le blanchit,
Le roi de Prusse le repasse.
»
Ce fut aux colonies que la France essuya les plus grands
revers.
Portrait de Madame du Barry, Elisabeth Louise Vigee-Lebrun
Le gouvernement ne sut point les soutenir. Nous
perdîmes le Canada, malgré la valeur de Montcalm, et l'Inde, malgré
l'opiniâtreté de Lally. Le duc de Choiseul devenu ministre eut une grande
idée ce fut d'unir la marine espagnole à la nôtre pour tenir tête à
l'Angleterre ; tel fut l'objet du pacte de famillequi n'eut,
cependant, pour premier résultat que d'associer l'Espagne à nos pertes
coloniales. Par le traité de Paris ( 1763), l'Angleterre acquit sur
l'une et l'autre puissance le Canada, l'Acadie, le Cap-Breton, la Grenade
et les Grenadines, Saint-Vincent, Saint-Dominique, Tobago et le Sénégal.
Traité honteux pour la France, et qui marque l'époque de son plus
grand abaissement politique. Choiseul, qui fut le seul grand ministre
de Louis XV, eut le courage de chasser les jésuites et la gloire de
réunir à la France la Lorraine et la Corse; mais il n'eut pas le temps
de sauver la Pologne: la cabale Maupeou, Terray et d'Aiguillon le fit
disgracier par l'influence de Madame Du Barry. Cette courtisane, qui
dominait honteusement Louis XV, ne lui laissa point de repos qu'il n'eût
congédié Choiseul; une orange dans chaque main, elle les jetait en l'air
l'une après l'autre en disant « Saute, Choiseul; saute, Praslin.»
Quand Louis XV eut entendu quelque temps cette chanson, il envoya son
ministre en exil.
Les divertissements de ce roi, sans parler de
ceux que nous devons taire par respect pour nos lecteurs, étaient de
faire de la tapisserie, de tourner des tabatières et de classer les
anecdotes scandaleuses que son ministre de police lui envoyait religieusement
chaque matin.
Du reste il se souciait peu de l'avenir. En brisant
les parlements pour y substituer le malencontreux parlement Maupeou,
il renversa les derniers soutiens qui restaient la monarchie. Mais,
jugeant que, quoiqu'elle fut bien malade, il arriverait encore avant
elle au tombeau « Bah! disait-il, ceci durera toujours autant que
moi ; après moi le déluge. »
Louis XVI
Louis XVI - Joseph-Siffred
Marie Antoinette en habit de cour - Elisabeth Louise Vigee-Lebrun
- 1745-1842
Louis XVI et La Pérouse
Louis XVI donnant ses instructions au capitaine de vaisseau
Jean-François de Lapérouse pour son voyage d’exploration autour
du monde, le 29 juin 1785 - Nicolas-André Monsiau - 1754-1837
Si Louis XVI manquait de cette fermeté de
caractère, de cette énergie, de cette décision politique qui savent
dominer les situations difficiles, du moins il possédait, il faut
le reconnaître, toutes les vertus à la fois modestes et solides
qui dans des temps ordinaires rendent les peuples heureux. D'une
admirable pureté de mœurs, d'un extrême bon sens, d'une profonde
sincérité de cœur, formé aux travaux du gouvernement par des études
sérieuses et utiles, il apportait sur le trône les qualités capables
de réparer les maux et les hontes du règne précédent, s'il n'eût
pas fallu à la société corrompue de son époque des remèdes violents,
supérieurs pour ainsi dire aux efforts de sa bonté. son règne ne
se fût pas illustré par ces guerres brillantes mais ruineuses, par
ces tentatives héroïques qui excitent l'ambition des conquérants
; il eût été marqué par ces conquêtes pacifiques et utiles qui profitent
aux nations sans leur coûter de sacrifices, et même au milieu des
agitations qui, presque dès son avènement, troublèrent l'exercice
de son pouvoir il ordonna et encouragea des expéditions qui, si
elles n'ont pas toujours réussi au gré de ses vœux, prouvent cependant
ses louables intentions et la saine direction de son gouvernement.
La plus célèbre et l'une des plus importantes par son but, par la
part active qu'y a prise Louis XVI et par sa malheureuse issue fut
le voyage d'exploration scientifique et commerciale entrepris par
La Pérouse sur les ordres et d'après les instructions formelles
du roi. Les progrès considérables de notre marine, l'émulation excitée
par les recherches scientifiques accomplies par les Anglais, et
enfin l'inclination naturelle que Louis XVI avait pour les études
géographiques, l'engagèrent à faire exécuter par la marine française
un voyage de circumnavigation ; et dès que le traité de Versailles,
signé en 1783, nous eut rendu la paix, il fit équiper une escadre
destinée à résoudre les problèmes géographiques que Cook n'avait
pu approfondir.
D'après les indications mêmes fournies par Louis
XVI, un projet de voyage fut esquissé et soumis à son examen. Le
roi l'étudia avec une scrupuleuse attention, et montra, dans les
observations qu'il y ajouta, cette justesse d'esprit, ce sens exact
qui lui étaient habituels. Ses connaissances approfondies en géographie
s'y déployèrent à l'aise, et ne demeurèrent pas au-dessous de la
tâche qu'il avait acceptée ; il traça aux navigateurs leur véritable
itinéraire, route précise dont ils s'écartèrent peu. Il avait indiqué
les recherches auxquelles on devait plus particulièrement se livrer
et les avantages commerciaux qu'on devait surtout s'efforcer d'obtenir
soit immédiatement, soit pour l'avenir ; ses observations enfin
attestaient une instruction étendue et solide, une expérience remarquable
de l'art difficile de la navigation.
Tout était prévu dans le
résumé rapide écrit par Louis XVI : les points de relâche, l'ordre
des découvertes à faire ou à perfectionner, les opérations relatives
aux observations astronomiques, à la navigation, aux sciences physiques
et naturelles. Mais où surtout éclatait la sollicitude du monarque,
c'était dans les instructions remplies d'humanité que lui avaient
inspirées la santé et la sûreté des équipages : il réglait tout
ce qui devait les garantir des vives souffrances d'une longue navigation,
il déterminait la conduite que, dans leur propre intérêt, ils avaient
à suivre avec les naturels des pays qu'ils visiteraient ; enfin,
il recommandait rigoureusement que les deux navires qui formaient
l'escadre d'exploration ne se séparassent pas dans les passages
dangereux. Ce fut après avoir examiné ainsi, dans ses différentes
parties, le projet d'expédition, que le roi le remit au navigateur
à qui il en avait confié l'exécution : c'était un capitaine de vaisseau
arrivé au grade qu'il occupait dans la marine française par de longs
et honorables services.
Jean François Galaup de La Pérouse,
né en 1741, était entré en 1756 dans la marine avec le grade de
simple garde. En 1780, après une expédition habilement conduite
contre les établissements anglais de l'Hudson, on l'avait nommé
capitaine de vaisseau ; et lorsque Louis XVI le chargea du commandement
de cette importante expédition consacrée à la science et au commerce,
bien qu'il fût seulement âgé de quarante-trois ans il justifiait,
par les travaux de dix-huit campagnes, la confiance du monarque.
Les préparatifs de ce voyage, dont le but était de combler toutes
les lacunes, de dissiper tous les doutes qui pouvaient exister encore
dans la géographie maritime, répondirent à l'étendue de son plan
et à l'importance des résultats qu'on en espérait.
Deux frégates,
la Boussole et l'Astrolabe, furent disposées pour cette grande campagne
maritime ; elles furent munies de tout ce qui sembla nécessaire
ou seulement utile pour un voyage qui devait durer trois années.
Une commission, formée d'hommes supérieurs dans les diverses sciences
et dans les arts, accompagnait les navigateurs ; et, après avoir
été reçu une dernière fois par le roi, après avoir encore écouté
les savantes instructions de Louis, ses touchantes recommandations,
La Pérouse se rendit à Brest, où, le 10 août 1785, il s'embarqua,
et salua la France d'un adieu qu'il ne croyait pas, hélas ! être
éternel. La grandeur du projet, le soin apporté à son organisation,
l'habileté de ceux qui furent choisis pour l'exécuter, tout paraissait
promettre à La Pérouse un succès certain ; mais la fortune trompa
toutes les espérances, et cette expédition, entreprise dans des
conditions si favorables, se termina subitement par un sombre dénouement
presque inouï dans les fastes maritimes.
Durant les premiers
temps de son voyage, La Pérouse adressa, aussi régulièrement qu'il
le put, ses rapports au ministre de la marine ; son voyage réussissait
à son gré : il avait parcouru une portion considérable de la route
qui lui avait été tracée, quand il envoya de Botany Bay une lettre,
datée du 7 février 1788, qui indiquait la marche qu'il comptait
suivre jusqu'à son retour : « Je remonterai aux îles des Amis,
et je ferai absolument tout ce qui m'est enjoint par mes instructions
relativement à la partie méridionale de la Nouvelle Calédonie ;
je passerai à la fin de 1788 entre la Nouvelle Hollande et la Nouvelle
Guinée ; je visiterai, pendant le mois de septembre et une partie
d'octobre, le golfe de la Carpentaria et toute la côte occidentale
de la Nouvelle Hollande jusqu'à la Terre de Diémen, mais de manière
qu'il me soit possible de remonter au nord assez tôt pour arriver
au commencement de décembre 1788 à l'île de France. » Ce fut
la dernière fois que La Pérouse écrivit en France depuis on ne reçut
plus de ses nouvelles. Deux ans après l'époque fixée pour le retour
de La Pérouse il n'était pas encore reparu, et l'on ne pouvait que
former de tristes conjectures sur l'issue de sa campagne.
Alors,
en 1791, l'Assemblée nationale demanda au roi d'envoyer à la recherche
des malheureux navigateurs. L'amiral d'Entrecasteaux fut chargé
de cette mission, mais il n'obtint aucun résultat ; et l'on semblait
devoir ignorer à jamais la destinée de La Pérouse, lorsqu'en 1827
le capitaine Dillon, qui naviguait dans les mers de l'Inde, découvrit
des débris de vaisseaux et des objets qui avaient appartenu à La
Pérouse. Guidé par ces indices, il poursuivit ses recherches, et
il put dire quelle avait été la fin de l'expédition de La Pérouse
: il paraît certain que, durant la nuit, elle échoua dans les récifs
de la plus grande île du groupe Vanikoro, et que l'Astrolabe et
la Boussole furent englouties sans que personne ne ait pu échapper
à ce désastre. Le capitaine Dillon fouilla le banc de corail où
les navires avaient touché et recueillit des canons de bronze, une
cloche marine, quelques fragments de porcelaine, et des tubes barométriques
qui provenaient évidemment de l'armement de La Pérouse.
En 1828,
le capitaine Dumont d'Urville, qui, lui aussi, devait terminer bien
douloureusement une utile carrière, retrouva, en parcourant les
mers dans lesquelles avait navigué La Pérouse, de nouveaux débris
d'armes et de navires qui confirmèrent tout ce qu'on avait pu prévoir
du l'infortuné navigateur. Avant de quitter ces lieux, Dumont d'Urville
rendit un dernier hommage à la mémoire de La Pérouse. Sur ces rochers
où s'étaient brisés quarante ans auparavant la Boussole et l'Astrolabe,
il éleva un mausolée surmonté d'un obélisque triangulaire qui sur
l'une de ses faces porte cette inscription :
A la mémoire
De la pérouse et de ses compagnons,
L'astrolabe.
14 mars
1828.
Monument de douleur, qui, dans ces lointaines contrées,
rappelle les généreux efforts de la France et consacre en même temps
le souvenir d'un grand dévouement aux progrès de l'esprit humain.
Louis XVI eut quelque chose de plus et quelque
chose de moins que Louis XV le coeur de plus et l'esprit de moins. Honnête
et voulant le bien, il appela aux affaires un honnête homme, Malesherbes,
et un homme de génie, Turgot ; il voulut prévenir la Révolution par
des réformes. D'abord il remit au peuple le droit de joyeux avènement
; il réforma la loi qui rendait les taillables solidaires du payement
de l'impôt, et affranchit les derniers serfs des terres domaniales.
La liberté du commerce des grains dans l'intérieur fut décrétée, les
corvées pour les grandes routes sont supprimées et remplacées par une
contribution territoriale que tous payeront ; les maitrises et les jurandes
sont abolies. C'était la liberté entrant dans l'industrie, et l'égalité
dans l'impôt. La faiblesse du roi perdit tout ; il recula devant l'opposition
des parlements qu'il avait rappelés après son avènement et devant les
clameurs des privilégiés. Malesherbes obtint sa démission ; Turgot se
fit demander la sienne ; mais, en la donnant, il prononça ces paroles
prophétiques «La destinée des princes conduits par les courtisans
est celle de Charles ler(1776) ».Turgot avait les plus
larges idées si elles eussent pu être exécutées, la Révolution se fût
faite pacifiquement; mais Louis XVI n'était pas né pour les comprendre.
Un jour, Turgot entrant dans son cabinet le trouve occupé à son bureau
; le roi se retourne, et lui tendant un papier « Voyez, dit-il, moi
aussi, je travaille. » Turgot prend le papier et lit « Mémoire pour
la destruction des lapins dans les campagnes ». Il s'agissait bien
de lapins quand la monarchie penchait de plus en plus vers l'abîme qui
allait l'engloutir.
.
Marie Antoinette - Elisabeth Louise Vigee-Lebrun - 1745-1842
Le vieux ministre Maurepas, méchante langue,
fit tomber Turgot. Necker, autre honnête homme et financier habile,
ayant été appelé au contrôle général des finances, Maurepas amena aussi
sa chute avec un bon mot. Necker avait publié le compte rendu de l'état
des finances dans une brochure couverte de papier bleu.« Avez-vous
lu le conte bleu ? »demanda partout Maurepas. Le mot fit fortune
et suffit dans une cour futile pour perdre un bon ministre. Louis XVI
n'eut pas l'énergie de le maintenir. Quand ce bon roi suspendait ses
philippiques contre les lapins, il prenait grand plaisir à faire de
la serrurerie et à tracer des cartes de géographie. C'est vers ce temps
qu'il laissa prendre à Marie-Antoinette cet emprise qui fut si fatal
à la monarchie. Cette reine, belle, mais fière et hautaine, d'ailleurs
étrangère et imbue des maximes absolues de la cour de Vienne, porta
malheur à son époux ; mais, en le perdant, elle se perdit elle-même.
C'est elle qui fit arriver au ministère Calonne et Brienne, deux courtisans
sans conscience, qui gâtèrent encore plus les affaires. Il fallut rappeler
Necker, et Necker convoqua les États Généraux.
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